Le village perché.

Publié le par mamido55

Texte écrit à partir d'une photo de Romaric Cazaux sélectionnée par Leïloona pour "Une photo, quelques mots".

Je dédie ce texte à mes ancêtres ardéchois qui, au début du xx ème siècle quittèrent leurs villages, pour venir travailler dans les vallées industrielles du Gier et de l'Ondaine (42).

(NB: Contrairement à mon histoire,  en Ardèche, toutes les terres sont occupées et les vieux villages même les plus difficiles d'accès sont rénovés et habités)

Le village perché.

Cazeaux-village-perche.jpg 

 

Le dernier de ses ancêtres avait quitté le village au début des années soixante. Déjà, à l’époque, il ne restait plus que lui depuis longtemps. Tous les autres habitants de ce petit village perché avaient jeté l’éponge bien avant.

 

Une terre toute en terrasse, trop dure à cultiver, très escarpée et ne permettant à aucun des nouveaux engins agricoles de pouvoir adoucir la peine à la cultiver.

Un village trop isolé, pratiquement inaccessible. Il aurait été bien trop coûteux d’y aménager le petit sentier sinueux et caillouteux en une route digne de ce nom. Ce qui rendait utopique, pour le coup, toute idée d’y amener le confort moderne.

 

Antoine gardait cependant le souvenir ému de ce troisième Dimanche de Juillet où, chaque année, le village reprenait vie durant quelques heures.

 

Les descendants des derniers habitants du village, toujours propriétaires de leurs maisons, invendables de toute façon, venaient leur rendre visite durant une journée.

Il fallait voir, au petit matin, s’engager la petite troupe sur le chemin pierreux, inaccessible en voiture et même, à vélo. Sacs au dos, les bras chargés de provisions et de quelques outils, quelquefois aidés par un âne, ils reprenaient la route de leurs ancêtres.

 

Au début du voyage, retentissaient les cris joyeux des retrouvailles, les rires et les conversations animées. Mais, peu à peu, sous le soleil écrasant ou le temps lourd et orageux de Juillet, les rires s’étranglaient, les conversations se tarissaient anéantis par les efforts à fournir afin de pouvoir effectuer l’ascension jusqu’en haut par le petit sentier escarpé.

 

Le paysage qu’on avait en grimpant était magnifique, d’une beauté sauvage à couper le souffle. Et, en effet, lorsqu’on débouchait enfin sur l’esplanade pavée du village, on était à bout de souffle, les jambes molles à cause de la rudesse du chemin parcouru mais aussi face à la magnificence qu’offrait le panorama.

Où que se porte le regard, tout n’était que vallons et collines boisées à perte de vue, crêtes et falaises rocheuses et au fond, tout en bas dans la vallée, le ruban  grondant de la rivière, à peine visible sinon par quelques reflets d’argent dans le soleil d’été.

Pas une habitation à la ronde. On se serait cru seul au monde.

 

Après une pause bienvenue qui permettait aux retardataires de rejoindre le groupe, chacun regagnait la maison de ses ancêtres. On sortait les grosses clés pour ouvrir les vieilles portes de bois. Quelquefois, on n’y parvenait pas alors il fallait se servir de l’huile d’olive contenue dans la sauce de salade du pique-nique pour graisser les antiques serrures.

Dedans les pièces étaient vides, il régnait une pénombre fraîche, dépourvue d’humidité car, malgré le temps qui passait, les maisons restaient saines. On constatait juste parfois qu’une gouttière s’était formée mais il suffisait de grimper sur le toit, de remettre une ou deux tuiles en place pour que tout rentre dans l’ordre. Les solides charpentes en châtaignier étaient faites pour durer encore des années.

Les enfants fabriquaient des balais de genêt et l’on s’activait pour chasser la poussière et les araignées qui avaient pris possession des lieux.

 

Sur le coup des treize heures, tout le monde se retrouvait sur l’esplanade.

On déballait alors les provisions que l’on se partageait dans l’allégresse. Bientôt, sous l’effet du bon vin, les rires résonnaient, les langues allaient bon train. On échangeait les nouvelles de l’année. Les bonnes et les mauvaises. Les naissances… Les mariages… Le travail… Le chômage… Les décès… On regardait les  photos récentes….

 

Les enfants s’accaparaient le village, comme avant eux leurs aînés. Les vieilles rues désertes et si tranquilles retrouvaient de l’animation dans de grands bruits de galopades et de cris joyeux.

 

Puis, le soir s’annonçant, il fallait redescendre, avant la nuit, par le chemin escarpé. Cela prenait moins de temps : la descente entraînait le pas et les sacs étaient vides.

 

On se disait au revoir au bas du rocher et l’on s’en retournait dans son HLM de banlieue jusqu’à l’année suivante.

 

Au fil des étés, le nombre de ceux qui montaient s’était amenuisé. Antoine n’avait jamais renoncé, lui, à faire l’ascension et venir visiter le village de ses ancêtres.

 

Aujourd’hui encore, il était là. Arrivé à mi chemin, il contemplait ce nid d’aigle, ce site imprenable qui avait si longtemps abrité et protégé la sécurité de ses aïeuls. Malgré le ciel noir et menaçant, l’orage qui grondait, il continuait à grimper.

A ses côtés, sa femme Elise et là, perché sur ses épaules, leur fils. Il pensait avoir le temps d’arriver avant que la pluie ne s’abatte sur eux.

 

Mamido, le 15 Avril 2013

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C
Ton texte me fait penser à la chanson de Ferrat. C'est très touchant.
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A
J'aime beaucoup ton texte.
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L
On sent derrière les mots la sincérité. Un texte écrit avec ton sang ! :)
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S
TRès jolie écriture, texte sincère, emprunt de souvenirs, c'est beau cet attachement aux origines
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Y
C'est très beau, cette ascension vers ses origines, ce pélerinage du passé. Très bien écrit et touchant.
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