Une partie de pêche
Texte écrit en regardant la photo de Romaric Cazeaux publiée cette semaine par Leiloona pour "Une photo, quelques mots" n° 51.
Partie de pêche.
Ce matin-là, tout le camping avait vu partir Paul et ses trois petits-fils à la pêche.
La veille, le grand-père avait préparé tout le matériel nécessaire, avec les trois petits qui lui tournaient autour comme des mouches excitées par l’orage. Il avait même été obligé de se fâcher et de les menacer de tout annuler pour qu’ils se calment un peu.
La nuit avait été courte. Les enfants avaient tardé à s’endormir et s’étaient réveillés aux aurores. C’est donc un Paul fatigué et passablement énervé qui embarqua la petite tribu dans sa camionnette.
La veille, sur le plan d’eau, la société de pêche avait organisé un concours et aujourd’hui, pour finir d’attraper le poisson qui restait, quiconque le désirait pouvait venir tenter sa chance. D’autant que la rumeur se propageait que la plus grosse truite lâchée n’avait pas été attrapée…
Paul pensait que ça amuserait les petits et… pourquoi pas imaginer de ramener une truite de plus d’un kilo ? Aussi, il avait fait les choses comme il faut et leur avait préparé un matériel performant : cannes à pêche de compétition, montures solides et toutes sortes d’appâts. Il avait même emmené l’épuisette, au cas où.
Les petits étaient aux anges, leur papi aussi. C’était la première fois qu’il les emmenait tous les trois et il jubilait.
Moins de trois quart d’heure plus tard, le camping voyait revenir un Paul tout échevelé -enfin sur la petite couronne de cheveux qui lui restait- et les trois petits dépités, soudain très sages et l’air un tantinet penaud…
Son voisin immédiat, celui de l’emplacement 33, qui avait appris à connaître le caractère ombrageux de Paul depuis vingt ans qu’ils se fréquentaient, attendit en silence un long moment que celui-ci s’explique. Comme il se contentait de grommeler dans son coin des propos incompréhensibles, à la fin, il osa lui demander ce qui s’était passé. Comme s’il n’attendait que cette occasion, Paul explosa, d’une voix de stentor, ce qui permit à l’ensemble des résidents de profiter de sa réponse.
« - Jamais plus, tu m’entends, jamais plus, je les emmène tous les trois à la pêche ! J’abondais* pas à les fournir en vers de terre et en sauterelles… Y en avait toujours un pour casser ou embrouiller son fil, arracher l’hameçon, l’envoyer n’importe où… Lui, là, il a même failli m’éborgner…» éructa-t-il en désignant d’un doigt rageur l’aîné de ses petits-fils.
« - Pour finir, tiens-toi bien, ils ont lancé leurs cannes toutes les trois au même endroit et tous les fils se sont emmêlé, sans que je puisse plus rien y faire. Bilan, une canne au fond du plan d’eau, il a fallu que je plonge pour la récupérer, une autre cassée, plus de montures, plus d’appâts… Y restait plus qu’à rentrer !... »
Et agitant les bras dans la direction des trois petits qui faisaient profil bas, réfugiés dans le giron de leur grand-mère :
« - Ah, vous êtes pas prêts d’y retourner à la pêche avec moi, non, c’est pas demain la veille que vous en attraperez du poisson, ça je vous le dit !!! »
Le soir même les deux aînés se fabriquaient une canne avec une branche d’arbre cassée, un morceau de corde à linge piqué à leur grand-mère et au bout, un trombone en guise d’hameçon.
En catimini, ils retournaient au plan d’eau et le soir couchant les vit revenir, triomphants, avec la fameuse grosse truite.
Paul faillit en faire une crise cardiaque.
Mamido, le 5 Octobre 2012.
* ne pas abonder à : ne pas réussir à (langage utilisé à St Etienne 42 et ses environs). En plus, il faut savoir que Paul parle avec un fort accent, celui d’Aimé Jacquet, en pire… si, si, c’est possible !