Regarder derrière soi.

Publié le par mamido55

Regarder derrière soi.

II y a quelques temps, j’avais écrit un court texte pour le « Défi du Samedi », à partir d’une image de Folon. Voici une nouvelle version, plus longue et d’un autre point de vue. Elle aurai pu se terminer par la dernière phrase de « Forest Gump » proposée par les « Impromptus littéraires » cette semaine : « Avec tout ce qui s’est passé, voilà ce que je me dis : moi, je peux toujours regarder derrière moi et dire qu’au moins, je ne me suis pas ennuyé. »

Les dons d'une fée (2ème version)

Quelquefois je me dis que c’est par ce froid dimanche, le dernier de Novembre, l’année de mes neuf ans, que mon avenir s’est révélé.

Tôt le matin, mon père avait chargé notre vieille camionnette et nous avions quitté la petite bicoque que nous habitions dans ce hameau perdu, au fond de la vallée.

Durant toute la matinée, ma sœur et moi avions aidés mes parents à vendre ce qu’ils fabriquaient à longueur d’année. Les brassières, les bonnets à la dentelle délicatement ouvragée, les vestes, les pulls, les écharpes de laine torsadée, nés sous les doigts agiles de ma mère côtoyaient sur notre étal les jouets de bois de mon père, ses coffrets finement sculptés, ses boîtes à musique… A un mois de Noël, tous ces objets à offrir étaient attendus et appréciés par une clientèle fidèle d’année en année.

Au début de l’après-midi, tout était vendu et nous avions pu circuler librement dans la foire, regarder fonctionner les gros engins en démonstration : moissonneuse-batteuse, tracteur, faucheuse, contempler les cochons et les vaches dans leurs enclos, les volailles dans leurs cages.

Mon père était parti à la recherche de l’outillage à renouveler pour son atelier. Ma mère achetait ses fils et ses tissus. Je les voyais au loin, elle et ma sœur, farfouiller dans les étoffes. Je me trouvais dans un coin de la place, un peu à l’écart, devant le stand du bouquiniste, peu fréquenté par notre petite communauté, plus avide, semblait-il, à faire le plein de nourriture et de vêtements que d’un peu de connaissance.

Moi, j’adorais lire, blotti dans le foin, au fond de la grange. Et j’avais dans la poche la pièce que ma grand-mère m’avait donnée en Juin, pour mon anniversaire.

Un grand livre, à la couverture rouge et dorée, avait attiré mon regard. Il dépassait de tous les autres. Lorsque je m’en étais saisi, j’en avais découvert le titre « Tours de magie expliqués aux débutants ». Timidement, j’en avais demandé le prix, j’avais peur que ma modeste pièce ne me permette pas de l’acheter, tellement ce livre me paraissait magnifique et précieux. Pourtant, elle avait suffi et j’avais pu ramener chez moi ce trésor, plié dans une feuille de papier brun, entouré d’une ficelle.

D’autres fois je me dis que rien ne me destinait, moi, le petit campagnard, au fond de sa vallée perdue, à devenir « le Divin Danny, le plus grand magicien de tous les temps ».

Mais, en y réfléchissant, je sais très bien, au fond de mon cœur, qu’il n’en est rien.

J’ai vécu la plus grande partie de mon enfance dans un monde féérique, alors rien d’étonnant que cela ait influencé le reste de ma vie.

Mes parents ont toujours su ce qui ferait plaisir à leurs enfants.

A la maison, l’argent n’emplissait pas les coffres et pourtant nous n’avons jamais manqué du nécessaire. Pour le superflu, c’était un peu plus compliqué, mais malgré tout, mes parents savaient accomplir des miracles.

Ils emplissaient chaque jour la maison de rires et de chansons. Maman savait ajuster ses pas de danse aux refrains qu’égrenait le violon de mon père, n’hésitant pas à nous entrainer, ma sœur et moi, dans cette joyeuse sarabande.

Et il ne faut pas oublier les cadeaux précieux fabriqués de leurs mains habiles.

Tous les jouets de notre enfance : voitures et camions, jeu de quilles et cheval de bois, dominos et échiquiers, poupées et doudous… sculptés et usinés dans l’atelier de mon père, cousus, brodés ou tricotés par les doigts de fée de ma mère.

Je me souviens du dernier Noël que celle-ci passa à nos côtés. Elle était déjà affaiblie par la maladie et je ne sais par quel tour de magie elle fabriqua ses cadeaux sans qu’on s’en aperçoive. Sans doute prit-elle sur le temps où nous étions en classe, sur celui où nous dormions également, ajoutant la fatigue à la maladie, usant ses dernières forces pour voir, encore une fois, le plaisir briller dans nos yeux. Je ne doute pas que mon père fut son complice, comme toujours. Il l’avait toujours été, il n’y avait aucune raison pour que ça ne dure pas, jusqu’au bout.

A ma sœur, elle offrit une magnifique couverture faite de mille et un patchworks. Elle l’avait cousue de tous les tissus qui avaient peuplés notre enfance. Les dentelles de nos premières brassières, le taffetas de sa robe préférée, le voilage et la mousseline des différents rideaux qui avaient ornés notre chambre, le lin, la soie de ses robes à elles, la flanelle des chemises de mon père, le velours de ses pantalons, le drap de ses salopettes de travail, le mohair de nos plaids de bébé … Elle les avait assemblés avec art, harmonisant les couleurs pour en faire un régal pour les yeux, un trésor sous les doigts, un chef d’œuvre éternel de chaleur et de tendresse destiné à accompagner ma sœur toute son existence.

Lorsqu’à mon tour, j’ai déballé mon paquet, j’y ai découvert ce dont je rêvais en secret, depuis surtout que j’avais déniché à la foire de la St André ce livre d’occasion expliquant quelques tours de magie.

Ma mère avait reproduit à l’identique le costume du magicien qui figurait sur la couverture. Il était composé d’une cape et d’un chapeau, dont la soie bleue nuit était parsemée d’oiseaux multicolores brodés au petit point et qui semblaient tout droit sortir du paradis.

A aucun moment, je ne reconnus le tissu d’un ancien dessus de lit de mes parents ni le chapeau de mariage de mon père.

Je n’y vis qu’un habit qui allait, c’était certain, dès que je l’aurais revêtu, me permettre de réussir les tours auxquels je m’entrainais depuis des mois et tous ceux que j’apprendrais par la suite.

Je jurai à ma mère ce jour-là, que je deviendrais le plus grand magicien de tous les temps. Ma mère sourit de ce sourire éclatant et mystérieux que nous aimions tant et assura que c’était ce qu’elle croyait elle aussi, du plus profond de son cœur. Et comme ses yeux, rivés dans les miens, affichaient une confiance absolue en mon avenir, je ne pus qu’y croire, moi aussi, définitivement.

Elle mourut quelques mois plus tard.

Non sans m’avoir montré, dans le plus grand secret, les sortilèges de mon costume : un excédent non négligeable de tissu dans les coutures et dans l’ourlet qui permettrait à la cape de grandir avec moi, jusqu’à ce que j’ai atteint ma taille définitive. Pour le chapeau, elle m’expliqua comment réduire puis enlever le rembourrage de mousse qu’elle avait momentanément placé à l’intérieur pour que ce couvre-chef d’adulte s’adapte à ma tête d’enfant.

Après sa disparition, pendant un temps, on put croire que la magie s’en était définitivement allée avec elle. Mais en fait, c’était juste le chagrin qui maintenait momentanément celle-ci enfermée au fond de nos cœurs.

C’est chez mon père que sa petite étincelle tarda le plus à se rallumer. C’était à l’occasion du mariage de ma sœur, douze ans plus tard, lorsqu’il ressortit pour la première fois le violon de son étui où il l’avait tenu enfermé depuis le décès de ma mère.

Chez ma sœur, la magie était réapparue cinq années plus tôt, à travers les pages du premier album pour enfants qu’elle avait écrit et dessiné. Elle continue à s’égrener et à croitre au fil des suivants, soir après soir, lorsque ma sœur les lit à ses deux enfants, nichés dans la couverture cousue par leur grand-mère. Comme elle aurait aimé, notre mère, voir ses petits-enfants recueillir ce flot de chaleur et de tendresse prodigué à la fois par les livres de ma sœur et par sa propre couverture!

C’est finalement chez moi, grâce à l’innocence de mes onze ans que la magie réapparut en premier, si tant est qu’elle ait jamais disparu. Très vite, j’avais pris l’habitude de me réfugier dans la grange, loin des regards des miens, pour ne pas les affliger d’avantage. Je m’allongeais, la tête dans le foin, pour y pleurer tout mon saoul. De moins en moins longuement, il faut bien le reconnaitre, au fur et à mesure que le temps passait… Ensuite je revêtais mon costume et travaillais mes tours de magie.

A douze ans, je donnais mon premier spectacle, dans le garage des voisins. J’avais fait payer un franc la place et ce fut un succès qui en appela d’autres. Bientôt, le bouche à oreille aidant, on m’invita pour animer les anniversaires, les fêtes de familles, les Noëls, devant un public toujours plus nombreux. L’argent récolté me permit d’acheter du matériel pour améliorer mes tours et surtout d’intégrer, à quatorze ans la Société Française de Magie où je me perfectionnai auprès des plus prestigieux artistes de ma catégorie.

Depuis, je me produis sur toutes les plus grandes scènes du monde, de Paris à Las Végas, de New-York à Moscou, en passant par Pékin et Mexico, partout réclamé pour mes tours féériques.

Certains, qui m’ont connu à mes tous débuts, s’étonnent de me voir porter toujours le même costume.

« - Il semble avoir grandi avec vous… », m’interrogent-ils, «… Comment se fait-il que le temps n’ait en rien altéré l’éclat de sa soie bleue et le chatoyant plumage des oiseaux qui y sont brodés. Ils paraissent toujours comme prêts à s’envoler ?! »

Je souris alors de ce sourire éclatant et mystérieux, hérité de ma mère, à ce que dit ma sœur, et que le public et la presse aiment tant.

J’explique que c’est le don d’une fée qu’ils transportent en eux. J’ajoute que c’est pour elle, pour qu’elle soit fière de moi, que je crée ces spectacles grandioses qui provoquent leur admiration. Et que je dédie chaque soir à ceux qui, comme moi, refusent de renoncer à rêver et à croire aux prodiges de la vie.

Mamido, 27/30 Avril 2014

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
L
Merci pour ce beau moment de lecture! Quelle belle histoire!
Répondre
D
Je suis heureuse que mon histoire vous ait plu!