Ce jour-là, une rue...

Publié le par mamido55

C'était le sujet, ce mercredi chez les "Bricoleurs de mots"... Il m'a inspiré ce texte, j'y ai quelque peu détourné la consigne, il est vrai. Comme il est véridique que je m'adonne à cet exercice d'inventaire, la nuit quand je ne dors pas. Retour régressif et rassurant à une époque où tous les miens me choyaient et m'entouraient?

Rue Richarme.

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Ce n'est pas la rue Richarme de mon enfanc mais plutôt de celle de mes grands-parents.

{C}

La nuit quand je n’arrive pas à dormir, je ne compte pas les moutons comme certains. Non la nuit quand je ne dors pas, je fais l’inventaire de tous les commerces de la rue Richarme de mon enfance, la rue Richarme d’autrefois. Je les récapitule, les uns après les autres, essayant de n’en oublier aucun. Forcément dans mon esprit, les époques se mélangent, condensées par les souvenirs de mon enfance et de mon adolescence.

Je ne me souviens plus très bien du haut de la rue.

Je me souviens juste des grands murs de la verrerie, de sa démolition qui laissa un grand terrain vague où l’on construisit ce qui fut le premier centre commercial de la ville : le supermarché SUMA et sa « galerie marchande ». Mais avant cela, pendant un moment, le terrain resta vide. Seule se dressait la maison de l’angle, de forme triangulaire, avec au rez-de-chaussée, une pâtisserie. Mon grand-père y acheta mes premières sucettes de la marque « Pierrot gourmand». Elles étaient plantées dans un présentoir en forme de cône qui me faisait penser à un sapin de Noël. Un sapin de Noël hérissé de sucettes.Je me souviens aussi des surprises, ces énormes cornets de papier coloré destinés aux filles ou aux garçons selon la couleur de l’étiquette. Elles contenaient beaucoup de papier journal, quelques bonbons -infects- et un jeu façon œuf Kinder d’aujourd’hui. Un objet à fabriquer, un sifflet, une toupie, une bille…

Le seul autre magasin dont je me souvienne dans le haut de la rue Richarme est un salon de coiffure. Mais cela date d’une époque plus récente. Lorsqu’il a fermé ses portes j’étais adulte déjà.

Je me souviens de l’épicerie Mistri, à l’angle, en haut. On n’était pas clients. On passait juste devant. Mais c'est un repère important et marquant de mon enfance.

Je me souviens du restaurant « L’orient », de son couscous à emporter.

Je me souviens d’une laverie. Est-ce la même qui a transhumé vers le rond-point carré ?

Je me souviens de Madame Garzéna. On parvenait à sa minuscule boutique en descendant trois escaliers. Ma mère m’y avait acheté une robe au tissu écossais pour le baptême de mon frère. De la bonne qualité. En relâchant les coutures et en rallongeant les ourlets, elle m’a duré tout le temps de l’école primaire.

Je me souviens de l’échoppe du  plombier, devant son atelier. De la femme du plombier, si belle, si grande, si blonde, si majestueuse derrière le comptoir. Et des robinets, brillants comme des bijoux dans la vitrine.

Je me souviens de la boulangerie. « Pain cuit au feu de bois ». Une seule fournée par jour. Quand il n’y avait plus de pain, on fermait le magasin. Certains jours, à onze heures du matin, le rideau était déjà baissé.

Je me souviens de l’estanco du cordonnier, juste à côté. Un gourbi infâme et poussiéreux. Quand on y déposait une paire de chaussures à ressemeler, on se demandait si on allait la récupérer un jour ou si elle allait venir alimenter le monticule de souliers entassés en strates archéologiques contre la vitrine grise de l’échoppe.

Je me souviens de « La main dorée », de sa vitrine remplie de trésors pour décorer la maison. Beaux objets bien trop chers pour notre bourse.

Je me souviens des trois salons de coiffure. Deux pour dames, côte à côte. Chacun ses clientes. Pas d’infidélité, même en cas d’absence, on restait mal coiffée mais on attendait le retour de SA coiffeuse. De l’autre côté de la rue, juste en face, le coiffeur pour messieurs, antre sacré et mystérieux où jamais aucune dame ne se serait aventurée. Même pour faire couper les cheveux du petit. Jusqu’à six ans, c’était la coiffeuse qui coupait les cheveux des garçons. Après, soit ils allaient seuls, soit avec papa chez le coiffeur.

Je me souviens de la librairie/papeterie/ marchand de journaux et d’objets religieux tenu par Madame Suchet puis par Monsieur Maldéra. On y achetait les images pour décorer nos cahiers d’écoliers, Lisette et le magasine de Mickey, les planches de poupées à découper, tous les articles nécessaires pour nos trousses ou demandés par les professeurs  (les cahiers, les classeurs, les classiques étudiés en classe) mais aussi le dernier Goncourt, les livres récents, les livres de poche… La vitrine fleurissait d’objets pieux qui se modifiaient au fil des saisons et de la liturgie religieuse : les santons et les crèches à Noël, les images pieuses à placer dans les missels à Pâques et pour les communions, les croix et les brassards des communiants, les crucifix et les saintes vierges, les missels et les bibles…

Je me souviens de l’épicerie/buvette tenue par les Just. Dans l’épicerie, maman m’envoyait chercher du gruyère râpé : deux cents grammes, dans un cornet de papier. Madame Just ne vendait pas que ça, en fait elle vendait de tout, fromage à la coupe, légumes, conserves, produits d’entretien… En Juin, c’est nous qui lui vendions nos cerises, en Juillet les haricots du jardin. Comme c’est moi qui ramassais, j’avais droit à ma pièce et à quelque chose dans le magasin. Sinon, mes parents étaient payés en marchandises.

Par la porte ouverte, nous parvenait le bruit des hommes qui refaisaient le monde au comptoir de la buvette du père Just à grands coups de pots de rouge ou de blanc, ou de verres d’anisette. C’est à peu près les seules boissons qui se vendaient. Ici, la menthe et la grenadine, c’était pour aromatiser le pastis et pas autre chose. Les réflexions tournaient souvent autour de la politique. Le patron qui, lorsqu’il n’était pas derrière son comptoir, travaillait en usine, était syndicaliste et ardent militant laïc… Et ça refaisait les matches le lendemain, et ça rigolait, et ça se disputait, dans la fumée du tabac à rouler, des gitanes ou des gauloises… Au-dessus de ma tête, Madame Just et ma mère levaient les yeux au ciel… Quelquefois les propos se faisaient grivois. Alors, Madame Just fermait la porte.

Je me souviens des deux charcutiers dont les boutiques  entouraient l’épicerie/buvette. La rosette de l’un, le jambon et la saucisse de l’autre !... Ils étaient concurrents et cependant, ils se retrouvaient tous les jours à la buvette du père Just.

Je me souviens de l’atelier du serrurier Bonjour, du nettoyage à sec « Vit’net ». La robe de mariée de ma cousine mise à nettoyer le mardi, au lendemain de la noce et qu’on alla chercher en hâte, cinq jours après, le samedi de Pâques, pour la lui revêtir à son enterrement. Toute la rue Richarme, ce jour-là, pétrifiée à notre passage.

Je me souviens de l’école primaire devenue local du centre culturel laïc, de l’ouvroir et du patronage …

Je me souviens du boucher, de la pharmacie…

Je me souviens de chez Berne, magasin de lingerie, tissus, linge de maison, vêtements de travail… Toutes mes blouses d’écolière et mon premier tablier de maîtresse d’école sortent de là.

Je me souviens de chez Flamand, le bazar/magasin de jouets. En rentrant de l’école, je buvais la vitrine des yeux. Je l’apprenais par cœur, dans les moindres détails pour alimenter mes rêves et mes espoirs

Je me souviens du tripier, du poissonnier…

Je me souviens des pains aux raisins de la  « Gerbe d’or ».

Je me souviens du magasin de chapeaux.

Je me souviens de la pâtisserie Drevet. Les choux à la crème de ma grand-mère. Ces dames au sourire pincé qui envahissaient la pâtisserie et me passaient devant, méprisantes, à la sortie de la messe, le Dimanche.

Je me souviens des deux magasins de vêtements : « Feu vert » et l’autre dont j’ai oublié le nom (... Karine!) mais où j’ai acheté ma première robe longue pour le bal du Crystal.

Enfin, je me souviens du primeur, au bout de la rue, tout en bas.

 

Oui, je vous entends d’ici, les vieux ripagériens. J’en ai oublié. Les deux magasins de chaussures, par exemple. Celui de Madame Lacombe avec son escalier tournant et sa passerelle en fer forgé remplie de boîte à chaussures. Et celui de Madame Bravo où j’ai acheté mes chaussures de fiançailles en vernis noir. Et d’autres encore…

 

Mais ces oublis font partis du jeu d’inventaire auquel je me livre lors de mes nuits d’insomnie. Je m’aperçois toujours au bout de la rue - quand j’y arrive- que j’ai oublié une boutique.

Alors il faut tout recommencer : la pâtisserie Epalle… l’épicerie Mistri…  « L’oriental », …ahahahaaa (bâillements)…

 

Mamido, le 13 Avril 2014.

Publié dans Bricoleurs de mots

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M
j'y est aussi vécu dans cette rue et que de souvenir tu me fait resurgir ma grand mère tenais une épicerie chez granger a coter du salon de coiffure il etai jaune du haut juste en face de ce grand terrain ou ils ont démoli cette usine de bons et de mauvais souvenir pour mois mai quand meme merci !!!
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C
Un inventaire à la Georges Perec ...J'aime beaucoup !!!
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J
J'ai savouré cette remontée de la rue avec beaucoup de plaisir.<br /> On ne peut pas dire que tu ais la mémoire qui flanche!<br /> <br /> Car elle chante et nous enchante.<br /> <br /> Quel beau parcours que ces nuits blanches t'amènent, finalement le meilleur remède contre l'insomnie.<br /> <br /> Tu m'as permis de transposer ta rue et ses habitants, avec la Grande rue de mon enfance...<br /> <br /> même saveurs sucrées...
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