Attente

Publié le par mamido55

Un texte, sur le thème de l'attente,  avec des mots à caser. 

 

Dans la salle d'attente.

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Il restera à jamais en moi quelque chose de cet enfant timide et solitaire qui attendait chaque soir la sortie de son père, derrière la porte de ce bureau où il restait enfermé à longueur de journée,

Avec impatience. Le cœur rempli d’espoir. Plein du désir de lui plaire.

 

Dans ce hall d’entrée de notre grande maison, transformé en salle d’attente durant la journée, je m’installais le soir venu, après avoir guetté le départ du dernier patient.

Ce pandémonium surchauffé qui accueillait quotidiennement toute la misère de la ville, était en cet instant désert.

Toute cette foule, à la trogne rouge ou d’une pâleur cadavérique, le nez coulant, ou les mâchoires déformées par les abcès, qui gémissait, toussait, éternuait, larmoyait, paraissait gigantesque, effrayante et monstrueuse à l’enfant que j’étais alors.

Les boiteux, les estropiés, les blessés sanguinolents…

Je les avais observé tout au long de la journée avec terreur, dissimulé derrière le rideau de la porte vitrée menant au salon.

A présent, les uns après les autres, tous s’en étaient allés, rassurés par le savoir-faire bienveillant de mon père et l’ordonnance, gage de guérison, à la main.

 

Le téléphone qui avait sonné toute la journée s’était enfin tu. A ses côtés, le registre, ouvert à la page du jour, égrenait la liste interminable des rendez-vous honorés. Je savais que la suivante en recelait, pour le lendemain, autant, sinon d’avantage.

Dans la cuisine, libérée de son service de secrétaire médicale, maman pouvait enfin vaquer à ses occupations ménagères sans être dérangée.

 

L’attente était variable. Certains soirs, les quelques minutes nécessaires habituellement à l’apparition de mon père pouvaient se transformer en heures. L’attente se chargeait alors de frustration. Qu’est-ce qui pouvait bien me priver de lui aussi longtemps ?

 

J’ai osé, une fois, une seule fois, entrouvrir la porte du cabinet. J’y ai vu mon père, à son bureau, la tête prise dans ses mains. Lorsqu’il a levé les yeux, ils étaient remplis d’une stupeur absente qui m’a tant effrayé que je suis parti au galop me réfugier dans les jupes de ma mère. Celle-ci m’a interrogé, pressante et inquiète, m’auscultant sous toutes les coutures, afin d’y déceler une éventuelle blessure. Enfin, voyant que je n’avais rien et croyant à quelque bêtise de ma part, elle m’a alors secoué comme un prunier et gratifié d’une gifle retentissante à la mesure de l’angoisse grandissante qu’elle éprouvait face à mon mutisme prolongé.

 

Ce n’est que lorsqu’elle a levé les yeux vers mon père qui m’avait suivi qu’elle s’est calmée.

A-t-elle croisé alors ce même regard égaré qui m’avait tant fait peur ? Mon père et elle ont-ils échangé avec ce mode de communication fait de gestes et de regards que les adultes utilisent parfois entre eux pour se dire ce qu’ils ne veulent pas que les enfants entendent ou comprennent ?

 

Toujours est-il que maman, ce soir-là, a répondu à la question que je ne lui avais pas posée.

 

«- Ce soir papa est très fatigué, c’est quelquefois très difficile de soigner tous les gens qui viennent le voir. Il faut trouver les bons remèdes. Il arrive parfois qu’il n’en existe pas, alors il cherche des solutions. S’il n’en trouve pas, il se fait du souci. Dans ces moments-là, il ne faut pas le déranger. »

 

A compter de ce jour, je ne suis plus jamais rentré dans le bureau de mon père sans y être invité.

 

Et lorsqu’il sortait enfin, en ces soirs d’attente prolongée, je me conduisais avec lui comme avec un malade convalescent, le tenant par la main, lui parlant doucement, le guidant et l’accompagnant jusqu’à son fauteuil favori.

 

Je me blottissais alors sur ses genoux en silence, attendant avec patience qu’il reprenne complètement pied dans la vie, notre vie.

Mamido, 8 Mai 2013

Publié dans Bricoleurs de mots

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